(2010. Mixage et matriçage : Claude Bellavance. Illustration : Thomas Corriveau.)
En général je suis honnête
J’veux pas dominer la planète
J’attends pas que mon nom résonne
J’ai le goût de tuer personne
Et de torturer encore moins
Le mal des autres me fait pas d’bien
J’ouvre mes mains, y a rien
J’ouvre la bouche et y a pas de réponse qui vient
J’m’étonne
D’être un humain
J’ai pas calculé pour demain
Je sais pas trop on verra bien
J’ai pas été illuminé
Y a rien que je peux expliquer
J’ai pas retenu les leçons
Sur c’qui est mauvais et sur c’qui est bon
J’ouvre mes mains, y a rien
J’ouvre la bouche et y a pas de réponse qui vient
J’m’étonne
D’être un humain
C’est pas moi qui a exterminé
C’est pas moi qui a tout asséché
Oui je sais j’ai rien empêché
Oui je sais j’ai rien arrêté
Mais on sait pas comment parler
Quand on est toujours étranger
J’ouvre mes mains, y a rien
J’ouvre la bouche et y a pas de réponse qui vient
J’m’étonne
D’être un humain
Un humain
François Dumont
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une chambre inconnue qui n’est jamais la même
Mais que je reconnais pourtant toujours et j’aime
Que l’espace varie : petit, moyen ou grand
Si la pièce varie, je ne fais donc jamais
Le même rêve ; mais, paradoxalement
Le rêve que je fais régulièrement
Est bien ce rêve-là qu’enfant déjà j’aimais
Le sens en est limpide : il y a dans ta vie
Un espace vacant, une place ravie
À tes jours par toi-même, ou les autres, ou les deux
Tu ne saurais trop dire et au fond, toi ou eux
La faute importe peu devant l’indication
De ce possible lieu — et son invitation
La chambre
François Dumont (d’après Paul Verlaine)
Marie
Tu ne parles jamais
Et quand tu ris
De ce que tu aimais
Tu t’oublies
Tu t’oublies
O Marie
Marie
Quand je pense à ta voix
Qui se marie
Aux mots de ce temps-là
Je m’oublie
Je m’oublie
O Marie
Tu penses à quoi
Quand le jour s’amène
Marie rends-moi
Les jours les semaines les mois
Marie
Entendrais-tu ma voix
Dans ton abri
Quand je chante tout bas
Notre oubli
Notre oubli
O Marie
Tu penses à quoi
Quand le jour s’amène
Marie rends-moi
Les jours les semaines les mois
Et l’année qui s’en va
Marie
François Dumont
Si tu veux ralentir avant de tomber
Paye, tous ceux qui payent pourront souffler
Si tu veux resplendir avant de faner
Paye, tous ceux qui payent peuvent espérer
Ah le soleil
Peut donner
Ses merveilles
Sans compter
Mais pour le reste
Paye
Peste
Mais paye !
Tu voudrais parvenir à recommencer
Paye, tous ceux qui payent sont pardonnés
Ah le soleil
Peut donner
Ses merveilles
Sans compter
Mais pour le reste
Paye
Peste
Mais paye !
Tu voudrais te souv’nir avant d'oublier
Paye, tous ceux qui payent pourront rêver...
François Dumont
Longtemps au pied du perron de
La maison où entra la dame
Que j'avais suivie pendant deux
Bonnes heures à Amsterdam
Mes doigts jetèrent des baisers
Mais le canal était désert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouvèrent
Celle à qui j'ai donné ma vie
Un jour pendant plus de deux heures
Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m'en allai
Pour quêter la Rose du Monde
Guillaume Appolinaire
Je marche à côté d’une joie
D’une joie qui n’est pas à moi
D’une joie à moi que je ne puis pas prendre
Je marche à côté de moi en joie
J’entends mon pas en joie qui marche à côté de moi
Mais je ne puis changer de place sur le trottoir
Je ne puis pas mettre mes pieds dans ces pas-là
et dire voilà c’est moi
Je me contente pour le moment de cette compagnie
Mais je machine en secret des échanges
Par toutes sortes d’opérations, des alchimies,
Par des transfusions de sang
Des déménagements d’atomes
par des jeux d’équilibre
Afin qu’un jour, transposé,
Je sois porté par la danse de ces pas de joie
Avec le bruit décroissant de mon pas à côté de moi
Avec la perte de mon pas perdu
s’étiolant à ma gauche
Sous les pieds d’un étranger
qui prend une rue transversale.
Hector de Saint-Denys Garneau
Le diable et moi nous marchons côte à côte
Le diable et moi nous marchons côte à côte
Le diable c'est moi, c’est lui qui parle et c’est ma faute
Il dit qu’il te déteste, mais qu’il ne t'en veut pas
Il dit que tout le reste importe plus que toi
Le diable et moi nous marchons côte à côte
Le diable c’est moi, c’est lui qui parle et c’est ma faute
Il dit que c’est pas grave, il dit que ça va bien
Même si moi j’en bave, lui ça ne lui fait rien
Le diable et moi nous marchons côte à côte
Le diable c’est moi, c’est lui qui parle et c’est ma faute
—
Il dit de t’en aller, il crie bon débarras
Il a les poings levés, moi je baisse les bras
Le diable et moi nous marchons côte à côte
Le diable c’est moi, il est moi mais je suis un autre
François Dumont
Pour rendre belle encor la rivière vieillie
Nous allons y jeter des étoiles de fer
Qui brilleront, le soir, comme des coraux verts,
Et qui feront rêver les noyés s’ils s’ennuient.
Moi j’y verserai l'or des sables de l'étang
Et je lui parlerai comme on parle à sa blonde.
Toi la belle tu n’as qu'à nager nue et l'onde
Animera pour toi mille poissons ardents.
Sylvain Garneau
Si ça fait pas, si c’est pas vraiment ça
Ou si c’est pas du tout ça
Ça m’étonne pas : c’est pas la première fois
Tant pis
On recommencera
On recommencera
Un jour ça va, un aut’ jour ça va pas
Qu’est-ce que tu veux c’est comme ça
Comme le soleil, ça s’en vient, ça s’en va
Tant pis
On recommencera
On recommencera
Dès que c’est commencé
Y faut recommencer
Ça continue, ça va jamais s’arrêter
Quand on est partis, on s’en allait déjà
Y a pas eu de premier pas
On tourne en rond, j’sais pas autour de quoi
Tant pis
On recommencera
On recommencera
Encore une fois
Pourquoi faut-il
Pourquoi faut-elle
Que l’av’nir arrive si tôt ?
Pourquoi pleut-il
Pourquoi pleut-elle
Quand on est sans manteau ?
Pourquoi vient-il
Pourquoi vient-elle
Tant de gens qui fuient de là-bas ?
Pourquoi semble-t-il
Semble-t-elle
Si facile de passer tout droit ?
Mais il arrive
Oui elle arrive
Que la vie dévie
Pourquoi fait-il
Pourquoi fait-elle
Si beau et si froid à la fois ?
Pourquoi est-il
Pourquoi est-elle
Si douteux que ça changera ?
Pourquoi se peut-il
Se peut-elle
Dit-on qu’on n’aura pas le choix ?
Pourquoi y a-t-il
Y a-t-elle
Toujours mill’ raisons pour ça ?
Mais il arrive
Oui elle arrive
Que la vie dérive
En me sauvant du combat je rêvais de me taire
Je pensais à tous les mots qui m’ont jeté par terre
Je me disais : jamais plus je croirai aux histoires
Et la nuit alentour était de plus en plus noire
Je voulais croire davantage qu’à deux ou trois personnes
J’attendais quand on parlait que certains mots résonnent
Mais le silence répondait au vent dans le désert
J’ me disais : juste un peu d’eau c’est tout ce que j’espère
La beauté c’est quand t’as pas besoin d’imaginer
La bonté c’est quand t’attends rien de c’ que t’as donné
Ces mots-là — beauté, bonté — me font maint’nant rêver
C’est des vrais mots je l’ai su quand je t’ai rencontrée
Non l’enthousiasme avant toi c’était pas trop mon truc
J’étais comme un Ottoman perdu parmi les Turcs
Mais tu m’as fait découvrir les dattes du désert
Et j’ai goûté avec toi à bien d’autres desserts…
En me sauvant du combat je rêvais de me taire
Je pensais à tous les mots qui m’ont jeté par terre
Je me disais : jamais plus je croirai aux histoires
Mais c’était avant mon entrée sur ton territoire
Ça faisait du bien de s’arrêter
Juste cueillir, et puis goûter
On s’était dit : « Restons où y fait beau »
Là, c’est l’orage, alors y faut c’qu’y faut
Faut repartir sans savoir où on va
Pour un endroit d’où on repartira
Recommencer
Improviser
C’était toujours not’ façon d’avancer
Oublie pas ça
Oublie-moi pas
L’orage, on dirait, s’est installé
Mais la pluie, le vent vont passer
En attendant on va se raconter
Comment à chaque fois on s’en est tirés
La fois où on s’était perdus dans l’bois
On est sortis juste en allant tout droit
C’était facile
De tomber pile
Souviens-toi qu’on sait pas où on s’en va
Ni ce qu’on découvrira rendus là
Oublie pas ça
Oublie-moi pas
(Ssur une idée de Réjean Ducharme)
J’sais pas si faut partir ou ben rester là
Me tourner vers l’av’nir ou arrêter ça
Je sais pas trop j’hésite
Je soupèse et j’évite
Je peux pas décider
J’ vas-tu m’en aller ou endurer ?
La reine et le huard pourront pas tomber
Tous les deux par hasard du bon côté
M’ment donné va falloir
Que je choisisse un bord
Ça peut pas continuer
Y va ben falloir me décider
Mais quand mon choix est fait, je deviens nostalgique
Alors j’ai des regrets, jusqu’à la panique
J’sais pas si j’vas changer ou rester l’ mêm’ gars
J’ pass’ mon temps à jongler, j’en ai plein les bras
Si au moins j’arrêtais
Un’ fois qu’ mon choix est fait
Mais non ça continue
Encore et encore ah j’en peux pus
Oui quand mon choix est fait, je deviens nostalgique
Alors j’ai des regrets, c’est ça le hic
Y vaut-tu mieux trancher ou si faut subir ?
Ah j’aurai beau forcer, après j’vas faiblir
Pis j’vas m’interroger
Pis j’vas tergiverser
Pis là ça va bloquer
Mais pourtant ça va pas s’arranger
Non ça pourra jamais s’arrêter
Pourquoi y faut toujours décider ?
Non
C’est pas la fin, non
C’est pas la fin, non
C’est pas la fin du monde, non
Ce que t’as pour moi, Satan
Repars avec, reprends tout
Oui, j’ai le goût de temps en temps
Mais rien pour virer fou
Non
C’est pas la fin, non
C’est pas la fin, non
C’est pas la fin du monde, non
Viens-t’en je t’attendais
Ma douce mélancolie
Avec toi, ma tendre amie
Ça n’est jamais fini
Non
C’est pas la fin, non
C’est pas la fin, non
C’est pas la fin du monde, non
Les oracles se sont tus
Et le temps est suspendu
Les voyageurs se sont perdus
La nuit venue, on ne sait plus
Malgré les milliers de fois
Malgré la force des lois
Malgré les plans conçus, revus
Et les leçons bien retenues
On ne sait plus, la nuit venue
J’ai pas pensé à tout ce qui s’en vient
J’ai pas pensé au bout du chemin
J’ai pas pensé ni à ci ni à ça
Non t’étais là et je pensais à toi
J’ai pas rêvé à mon étrange enfance
J’ai pas rêvé aux oiseaux sans défense
J’ai pas rêvé ni à ci ni à ça
Non t’étais là et je rêvais à toi
Je voulais pas me retrouver ailleurs
Je voulais pas d’un av’nir meilleur
Je voulais pas avoir ni ci ni ça
Non t’étais là, je voulais juste ça
J’ai pas songé que ça pourrait finir
J’ai pas songé que tu pourrais partir
J’veux pas songer ni à ci ni à ça
Où que tu sois, ici je songe à toi
Matin de lent brouillard monotonement gris.
Les arbres bourgeonnants se dressent amaigris
Et vagues, comme s’ils étaient l’ombre d’eux-mêmes.
Le cercle rétréci des froids horizons blêmes
Étreint, comme un collier prodigieux de bras,
Les toits mouillés et nus qui se tassent en bas.
Le vent brusque renverse aux maisons embrumées
Le panache mouvant des légères fumées.
Et du gris sur du gris comme une cendre pleut...
Et pris d’un vain regret de soleil et de bleu,
Je rêve, le front triste et lourd de somnolence,
Que l’azur en l’espace élargi recommence...
On prendra la mer
Et on prendra la terre aussi
Et on prendra l’air
Malgré tout ce qu’on y a mis
Et pendant le retour
On se mettra à jour
À l’heure d’un autre départ encore
On verra la Chine
On ira en Éthiopie
Vers le plein soleil
Mais aussi les pays de pluie
Et y va nous rester
Tout c’qu’on aura manqué
Alors on s’en ira le trouver
Les jours où on voudra souffler
On deviendra le vent, on se laiss’ra porter
On voudra partir
Eh ben on s’ra déjà partis
On voudra rev’nir
Eh ben on s’ra déjà ici
Peu importe où on s’ra
Les mots qu’on connaît pas
À mesure on les apprendra
Les jours où on voudra souffler
On deviendra le vent on se laiss’ra porter
Quand ça suffira
Le jour où on va s’arrêter
On se souviendra
Et on voudra tout se rapp’ler
Tout récapituler
Décrire et raconter
Y rest’ra à imaginer...
(Sur l’air d’« Efterklang », d’Edvard Grieg)
Là où ça s’est passé
Là où je t’ai cherchée
Là tout au fond de toi
Où je ne te vois pas
C’est là que pourtant tu es
Mais c’est là où tu disparais
J’aperçois ton visage
Ne reste qu’une image
Tout a changé de place
Là
Où je te revois qui passes…
Pourras-tu rester un peu ?
Voudras-tu reprendre le jeu ?
Comme l’eau de la cascade
La joie ne fait que passer
La joie est une escapade
Il faut la recommencer
François Dumont collabore avec Claude Bellavance et Guy St-Jean dans la coopérative L’Atelier volant.