En général je suis honnête
J’veux pas dominer la planète
J’attends pas que mon nom résonne
J’ai le goût de tuer personne
Et de torturer encore moins
Le mal des autres me fait pas d’bien
J’ouvre mes mains, y a rien
J’ouvre la bouche et y a pas de réponse qui vient
J’m’étonne
D’être un humain
J’ai pas calculé pour demain
Je sais pas trop on verra bien
J’ai pas été illuminé
Y a rien que je peux expliquer
J’ai pas retenu les leçons
Sur c’qui est mauvais et sur c’qui est bon
J’ouvre mes mains, y a rien
J’ouvre la bouche et y a pas de réponse qui vient
J’m’étonne
D’être un humain
C’est pas moi qui a exterminé
C’est pas moi qui a tout asséché
Oui je sais j’ai rien empêché
Oui je sais j’ai rien arrêté
Mais on sait pas comment parler
Quand on est toujours étranger
J’ouvre mes mains, y a rien
J’ouvre la bouche et y a pas de réponse qui vient
J’m’étonne
D’être un humain
Un humain
François Dumont
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une chambre inconnue qui n’est jamais la même
Mais que je reconnais pourtant toujours et j’aime
Que l’espace varie : petit, moyen ou grand
Si la pièce varie, je ne fais donc jamais
Le même rêve ; mais, paradoxalement
Le rêve que je fais régulièrement
Est bien ce rêve-là qu’enfant déjà j’aimais
Le sens en est limpide : il y a dans ta vie
Un espace vacant, une place ravie
À tes jours par toi-même, ou les autres, ou les deux
Tu ne saurais trop dire et au fond, toi ou eux
La faute importe peu devant l’indication
De ce possible lieu — et son invitation
La chambre
François Dumont (d’après Paul Verlaine)
Marie
Tu ne parles jamais
Et quand tu ris
De ce que tu aimais
Tu t’oublies
Tu t’oublies
O Marie
Marie
Quand je pense à ta voix
Qui se marie
Aux mots de ce temps-là
Je m’oublie
Je m’oublie
O Marie
Tu penses à quoi
Quand le jour s’amène
Marie rends-moi
Les jours les semaines les mois
Marie
Entendrais-tu ma voix
Dans ton abri
Quand je chante tout bas
Notre oubli
Notre oubli
O Marie
Tu penses à quoi
Quand le jour s’amène
Marie rends-moi
Les jours les semaines les mois
Et l’année qui s’en va
Marie
François Dumont
Si tu veux ralentir avant de tomber
Paye, tous ceux qui payent pourront souffler
Si tu veux resplendir avant de faner
Paye, tous ceux qui payent peuvent espérer
Ah le soleil
Peut donner
Ses merveilles
Sans compter
Mais pour le reste
Paye
Peste
Mais paye !
Tu voudrais parvenir à recommencer
Paye, tous ceux qui payent sont pardonnés
Ah le soleil
Peut donner
Ses merveilles
Sans compter
Mais pour le reste
Paye
Peste
Mais paye !
Tu voudrais te souv’nir avant d'oublier
Paye, tous ceux qui payent pourront rêver...
François Dumont
Longtemps au pied du perron de
La maison où entra la dame
Que j'avais suivie pendant deux
Bonnes heures à Amsterdam
Mes doigts jetèrent des baisers
Mais le canal était désert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouvèrent
Celle à qui j'ai donné ma vie
Un jour pendant plus de deux heures
Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m'en allai
Pour quêter la Rose du Monde
Guillaume Appolinaire
Je marche à côté d’une joie
D’une joie qui n’est pas à moi
D’une joie à moi que je ne puis pas prendre
Je marche à côté de moi en joie
J’entends mon pas en joie qui marche à côté de moi
Mais je ne puis changer de place sur le trottoir
Je ne puis pas mettre mes pieds dans ces pas-là
et dire voilà c’est moi
Je me contente pour le moment de cette compagnie
Mais je machine en secret des échanges
Par toutes sortes d’opérations, des alchimies,
Par des transfusions de sang
Des déménagements d’atomes
par des jeux d’équilibre
Afin qu’un jour, transposé,
Je sois porté par la danse de ces pas de joie
Avec le bruit décroissant de mon pas à côté de moi
Avec la perte de mon pas perdu
s’étiolant à ma gauche
Sous les pieds d’un étranger
qui prend une rue transversale.
Hector de Saint-Denys Garneau
Le diable et moi nous marchons côte à côte
Le diable et moi nous marchons côte à côte
Le diable c'est moi, c’est lui qui parle et c’est ma faute
Il dit qu’il te déteste, mais qu’il ne t'en veut pas
Il dit que tout le reste importe plus que toi
Le diable et moi nous marchons côte à côte
Le diable c’est moi, c’est lui qui parle et c’est ma faute
Il dit que c’est pas grave, il dit que ça va bien
Même si moi j’en bave, lui ça ne lui fait rien
Le diable et moi nous marchons côte à côte
Le diable c’est moi, c’est lui qui parle et c’est ma faute
—
Il dit de t’en aller, il crie bon débarras
Il a les poings levés, moi je baisse les bras
Le diable et moi nous marchons côte à côte
Le diable c’est moi, il est moi mais je suis un autre
François Dumont
Pour rendre belle encor la rivière vieillie
Nous allons y jeter des étoiles de fer
Qui brilleront, le soir, comme des coraux verts,
Et qui feront rêver les noyés s’ils s’ennuient.
Moi j’y verserai l'or des sables de l'étang
Et je lui parlerai comme on parle à sa blonde.
Toi la belle tu n’as qu'à nager nue et l'onde
Animera pour toi mille poissons ardents.
Sylvain Garneau